Neuvième Jour:
Moratalla, me Revoilà!
La nuit ne fut pas des plus reposantes...
J'ai les lombaires en compote, les muscles du dos courbaturés
suite à la journée d'hier, je n'ai pas super bien dormi,
malgré la fatigue qui s'accumule... réveillé vers
3h30, j'essaie en vain de me rendormir... au bout d'une demi-heure, je
me décide à sortir pisser... je n'enfile que mes
chaussures; j'ai déjà la flemme de sortir de mes sacs de
couchage, alors m'habiller, bof... est-ce vraiment nécessaire?
C'est donc le cul à l'air que je sors dans le
vent froid de cette nuit d'hiver pour soulager ma vessie...
Je pense avoir réussi ensuite à me rendormir un peu, mais
je n'en suis pas certain tant je suis complètement dans le
pâté... je passe un temps X à comater avant de me
décider à lancer un premier café...
En inclinant ma tente pour la débarrasser des
brindilles et poussières qui y sont entrées, je constate
que je vois à travers la toile du sol par quelques micros
trous... elle n'a pas résisté aux arrêtes du terrain
de gravier du désert de Gorafe... je vérifie
attentivement toute la toile de sol, et moins de dix patchs de sctoch US plus tard, je termine le démontage de la tente...
8h15, je bois un dernier café, je n'ai plus que la moto à charger avant de décoller...

Je prends la piste vers l'est qui mène à Moratalla.
Ce faisant, je roule face aux rayons du soleil levant. Ils traversent la
forêt, éclairent les vastes plaines et sierra
environnantes, parsemées de brumes matinales... je roule en toute quiétude dans ce beau décor, c'est
très zénifiant!
Arrivé sur la rue principale de la ville, j'aperçois une
terrasse ensoleillée et suis bien tenté de m'y poser...
Je regarde le large trottoir pour m'y garer, mais en même
temps, je constate que tout est bien propre et bien rangé dans cette rue, et qu'il y a même
quelques tout petits emplacements de stationnement pour les deux roues... une voiture y squate impunément,
certes, mais je n'ai aucune envie d'être le marseillais de base,
le fameux abruti Kissanbalek, et de monter me poser sur le trottoir
côté bar... l'endroit reste idéal pour moi, juste
en
face de tables vides. Les seuls clients dehors se sont installés
sur une partie couverte de cette grande terrasse.
Je me gare, la moto ne gène pas la
circulation, seulement le déplacement d'un container poubelle.
Et si la voiture part, je pousserais éventuellement la moto à sa place...
En guise de double expresso, j'ai deux cafés... j'ai vraiment des progrès à faire en espagnol!
J'ai
repéré depuis mon bivouac une piste à la sortie de la ville qui va me
permettre de paisiblement et agréablement poursuivre ma route vers
le nord; je n'ai pour l'heure aucune envie de tracer sur de grandes routes.
Je vais payer, passe aux toilettes, m'y lave les mains... c'est devenu
une opération rare! C'est dans ces moments-là, avec ces
petites satisfactions simples du quotidien, qu'on apprécie et prend la mesure du
confort moderne... franchement, l'eau courante et le savon, c'est une sacrée invention!
Je suis donc tout guilleret en me dirigeant vers la
sortie du bar pour rejoindre ma table en terrasse.
J'en suis à deux pas lorsque j'entends et
vois une vieille grosse vachasse qui gueule à proximité
de ma moto... très énervée, descendue de son tout petit scoot, qui doit peser quatre
fois moins qu'elle (le scooter est vraiment tout petit, et elle, ben... vraiment pas du tout!),
elle gueule des trucs dans lesquels je comprends qu'elle demande
à qui appartient cette moto qui l'emmerde profondément...
- "Esta a mi!...", je baragouine en arrivant sur la terrasse...
Elle a enfin quelqu'un sur qui déverser sa
mauvaise humeur, et je comprends que je me fais copieusement insulter.
J'improvise, je tente de
l'apaiser, je ne me risquerai pas à la peser, lui montre la voiture mal garée là, tout en
disant calmement:
- "El problemos, non esta mi... el problemos esta el coche..."
Je suis assez satisfait de penser avoir
réussi à composer une phrase en espagnol, même si
elle doit n'être qu'approximativement correcte, mais cela ne la calme pas du tout, bien au contraire... elle
m'invective et vocifère de plus belle, bien qu'elle soit plutôt
très laide...
Je traverse la rue pour aller à sa rencontre
et déplacer
ma moto pour dégager la place où elle pourra mettre son
petit scoot. Et elle m'engueule encore, ne m'écoute pas un
brin... je trouve déjà que cela est pénible et
dure un peu trop, mais Mohamem et moi restons calmes... tout en
continuant à gueuler, elle en arrive à me reprocher de ne
pas m'être mis perpendiculairement au trottoir, parce qu'alors,
elle aurait pu
se garer... je lui montre la largeur de ma bécane, et lui dit en
français que même dans ce sens elle n'aurait pas eu la
place de se mettre à côté de moi... je lui
répète que c'est el coche el problemos... et elle
continue à me gueuler dessus comme une lionne enragée,
elle sort ses griffes et me montre ses dents... je me serais
passé de voir de près ses grands chicots tout pourris!
J'ai un
minimum de patience, mais pas du tout pour peu qu'on me souffle trop
fort dans les bronches!
Alors que si elle m'avait parlé calmement et
poliment, avec un petit sourire et un "por favor" pour
agrémenter son propos,
elle aurait déjà été garée depuis un
bail, et bien je n'ai désormais plus aucune envie de me
plier à ses desiderata; du coup, je retraverse la
rue pour aller chercher mes affaires et partir... et puis, alors
qu'elle continue
à vociférer ses insultes à mon retour, j'en ai
marre... et gueule à mon tour!
- "Oh! C'est bon maintenant! Vous allez vous calmer! Si vous, vous pouvez vous permettre de vous énerver
et gueuler en espagnol, moi aussi je peux me le permettre, et je peux le faire en français!"
Je ne sais plus trop ce que je lui ai dit, mais je
l'ai dit fort et avec une tête de pas content... je l'ai
copieusement envoyée chier en utilisant une attitude, un niveau
sonore, un style et un débit similaire au sien... ça aura
au moins eu le mérite de beaucoup la calmer à
défaut de la faire taire complètement (elle n'a murmuré qu'une seule phrase après ça...)... je n'ai cependant aucune raison d'en être fier... mais faut pas
faire chier Gérard Lambert quand il répare sa
mobylette... C'est la morale de la chanson de Renaud, moi j'la trouve chouette... pas vous? Ah bon...
Je continue à jouer au con et prends le temps de sangler ma polaire sur la sacoche
cavalière, puis de m'équiper, de remettre mon
téléphone à charger sur son support. Alors que
j'enfile mon casque, une femme arrive et monte dans la voiture mal
garée... la vachasse la regarde mais ne lui dit rien, je démarre et la
laisse mariner dans sa mauvaise humeur matinale... adios!
Fin de l'anecdote...

Je quitte donc Moratalla.
Par une petite route, je rejoins la piste repérée.
Elle commence juste après l'entrée d'un camping... je
descends de la moto et vais voir la signalisation apposée
là, et comprends que la piste en question est fermée en
été, qu'il y a des travaux en ce moment, mais apparemment il n'y a rien qui
puisse m'empêcher d'y rouler aujourd'hui...
Alors j'y vais!
Et quelle bonne idée!
La piste, très roulante, passe à travers la forêt dans un site magnifique!
J'y dépasse au début effectivement une dizaine d'ouvriers
et leurs véhicules, occupés sur un chantier forestier
s'étalant sur 200 mètres, double une voiture et deux
piétons... et puis plus rien
ensuite!


Je voulais prendre une bifurcation qui traverse le massif par le nord,
mais lorsque j'y arrive, elle se trouve être constituée d'un épais
tapis de grosses pierrasses et caillasses, et bien trop raide pour que je m'y engage sans risque...
alors, je poursuis sur la piste principale, vers l'ouest. Je traverse
par trois fois et trois gais gués un ruisseau et grimpe sur le massif de la
rive opposée à celle du départ...
Quelle régalade!
Juste après un col, j'ai même droit au
passage de deux biches coupant la piste en dévalant la pente
gracieusement, comme sur les panneaux de signalisation! J'adore!


Je me fais une pause juste avant de rejoindre le bitume d'une petite route.
Elle serpente à travers le massif, offrant de splendides
panoramas tout du long... l'endroit était très verdoyant,
mais en en sortant, tout redevient très aride et pourtant très cultivé aussi...
Les
étendues sont vastes, c'est différent mais pas moins agréable à l'oeil!

Je me régale à enrouler ensuite sur de petites routes virevoltantes au travers des reliefs...
Tout est beau, j'apprécie, pour des raisons différentes à chaque fois...
en plus, il y a du soleil, la lumière et les couleurs sont
splendides, et je suis tout seul sur toutes ces routes!


Dédicace spéciale à ma soeur!

J'agrémente le parcours en prenant une piste longeant un petit torrent,
mais qui se termine malheureusement trop rapidement en cul de sac...
j'espérais y trouver un endroit au soleil et m'y sustenter quelque peu, mais c'est très
encaissé et intégralement à l'ombre, alors je fais demi-tour et poursuis sur la route!
J'arrive à Ayna, en ayant en chemin dit à voix haute 57 fois (environ!):
"Putain... que c'est beau!"
Je m'y fais une pause casse-croûte bienvenue, il est 13h10...
Heureusement que j'ai fait la pause là, à la suite de
toutes ces routes et pistes magnifiques, parce qu'à peine 25
kilomètres plus loin, j'entame la traversée du plateau
d'Albacete, et ça, je ne le recommande à personne!
Le dernier truc présentant un intérêt avant ce plateau, c'est le château de Penas de San Pedro...
C'est clair que les châteaux en Espagne, c'est quelque chose!
Mais ensuite, c'est laid, c'est tout droit, et n'a donc aucun
intérêt! Mis à part de pouvoir faire le plein...
Je ne parle même pas de la traversée d'Albacete par son
grand boulevard, son flot de véhicules et son agitation
urbaine... beurk! Au secours! Fuyons!
Le seul avantage de ces grandes lignes droites lors de la
traversée du plateau, c'est qu'on peut y mener bon train... et
enfin, après environ 90 kilomètres, la route se remet à être moins monotone et à tournicoter gaiement...
J'ai décidé de rejoindre un tracé du TET.
Je
fais une pause chemin faisant à Los Isidros, à
la terrasse d'un bar legèrement en retrait du bord de la route,
devant lequel sont garées une
bonne douzaine de motos... dont quelques BMW 1250 adventure
bardées
d'équipements, équipées de pneus routiers. Je note
qu'elles sont toutes très propres: pas un seul grain de
poussière dessus!
Je salue les pilotes, tous en tenues de cuir aussi
rutilantes que leurs machines. Mais finalement, on ne discute pas;
si on m'aborde en espagnol, je réponds en français ou
anglais, mais je suis bien incapable de démarrer une
conversation en espagnol et ne trouve pas évident de le faire
dans une langue étrangère au pays dans lequel je
vagabonde... de plus, en descendant de mon ORTC (Objet Roulant Tout Crado), leurs regards me donnent l'impression d'être un extra-terrestre, qui plus est, sale et puant...
Chacun son truc... et c'est après tout peut-être vrai qu'on n'est pas de la même planète!
Le barman est quant à lui un espagnol ayant
vécu 20 ans à Paris, il parle très bien
français et, je trouve ça très drôle, avec
l'accent de là-bas!
C'est quand même très plaisant d'échanger plus de trois mots avec quelqu'un!
On parle de choses et d'autres... notamment des
manifestations des agriculteurs en France, ce que je découvre
sur la chaîne d'info diffusée dans le bar.
Je croyais échapper aux têtes de con des hommes politiques français, mais ils sont partout!
Même à l'étranger! Pffff...
Je bois un jus de fruit, fais la vidange de ma vessie ainsi que le plein d'eau
pour équilibrer le niveau des fluides embarqués et repars...
Muchas gracias!

Je découvre sur google earth le nom du bar...
16h30, je suis sur le tracé du TET depuis quelques kilomètres, après Jaraguas.
De belles pistes roulantes, au coeur ou longeant des exploitations agricoles.
Il commence à être l'heure de trouver un coin de bivouac!

Alors que j'arpente des pistes au milieu de champs
situés entre deux collines boisées, je me dis que
j'aurais plus de chances de trouver un coin tranquille en en prenant
une passant dans les collines plutôt que depuis celles à
leur pied... j'en vois une disparaître dans la pinède,
alors j'y vais!
Oups!
Rapidement, ça grimpe fort, c'est plein de grosses pavasses dans
tous les sens, je suis bien secoué, le traction control au
minimum se déclenche tout du long... je me demande en roulant si
je n'ai pas fait une grosse connerie que de passer par là!
Et puis providentiellement, une fois dépassée cette bonne montée, hop!
Un petit coin plat, et je n'en demande pas plus! L'espace est largement suffisant pour pouvoir planter la tente, même si une petite partie seulement me permettra de dormir quasiment à l'horizontale... je m'installe!
Je place la tente de manière à ce que l'emplacement de mon matelas soit au bon endroit.
Je n'ai pas de large panorama à ma disposition, ce que j'apprécie toujours, mais c'est très tranquille!

Une fois le campement installé, je vais faire des photos de la fin de la montée...
D'en haut, alors que la pente se calme juste avant le replat, puis d'un
peu plus bas... on y perçoit un peu l'inclinaison de la pente,
la
nature du terrain... on devine ma moto sur la deuxième
photo...

On peut toujours se faire pousser si on est accompagné et en
difficulté dans une montée, mais tout seul, repartir après un arrêt
dans ce type d'endroit peut devenir problématique... et je ne parle même pas de l'éventualité
d'une chute ou d'une sortie de piste!
Pas facile de déterminer où sont les limites de la
prudence... car je préfère ne pas trop flirter avec et
conserver ainsi une marge de sécurité correcte...
La nuit est tombée...
Un rapace nocturne hulule dans les bois à plus de 100°C, certainement parce qu' hibou!
J'aurais bien aimé le voir...
19h30, il est l'heure de manger au chaud dans la tente... ou plutôt, au moins froid!
Il fait tout de même un peu meilleur sous la toile que dehors...
Et pour le dessert, la dernière part de ce fameux gâteau de Gorafe! Miam miam!
Diantre! Tout a donc une fin?!

Demain est un autre jour!
Itinéraire Jour 9: 288 km, 9h31