Sixième Jour:
Que la Régalade commence!
Réveillé à 6 heures, je m'active donc tôt...
Au cours de la nuit, aucune bestiole n'est à ma connaissance
venue rôder autour de mon campement... par précaution, je
me suis levé sous la Lune pour imprimer d'avantage encore ma
main-mise sur le territoire.
Je prends finalement un peu mon temps en ce petit matin, car je
m'aperçois que sinon je vais partir rouler sur les pistes avant
le levé du jour... je préfère voir clairement
où je pose mes roues...
Pour l'anecdote, il n'y avait qu'une seule merde
dans les alentours, et il a fallu que je marche en plein dedans...
Et puis surtout, c'était la mienne! Je n'ai rien laissé derrière
moi en quittant mes bivouacs; pas un seul déchet ou mégot
non biodégradable... donc, même le papier
hygiénique souillé, je le mets dans une poubelle que je
vide dès que j'en ai l'occasion. Ce matin, cherchant à la
frontale où je l'avais laissé, j'ai écrasé
gaiement mon caca du pied droit... mais je ne suis pas superstitieux:
ça porte malheur!
8h15, je suis paré au départ!
Le soleil se lève à peine et le coin où je roule
est vraiment magnifique, ces pistes faciles sont idéales pour bien commencer la journée!
J'ai roulé à peine trois minutes avec
les poignées
chauffantes à mi-intensité, histoire de réchauffer
un peu les gants d'été, beaucoup plus agréables
pour conduire que les gros gants d'hiver. Les manchons permettent
ça et j'en profite.
Il n'est pas évident de
rouler avec la lumière rasante des premiers rayons de soleil, et je m'en
prends pleins les yeux, au propre comme au figuré!
Mais qu'est-ce que c'est bon!
Il persiste de ça de là quelques zones bien humides, j'ai bien fait de rester 24h de
plus en France avant de venir en Espagne, mais sur ce type de terrain,
c'est beaucoup plus facile à gérer que dans la terre du
nord, que j'aurais d'ailleurs tendance à qualifier de "crème catalane"...
Je retrouve le bitume.
Je me serais bien fait Pinet, mais je ne fais que traverser ce petit patelin.
Je n'ai pas eu ma dose de piste... j'en vois une du coin de l'oeil qui a l'air sympa...
Je m'y engage, longe une oliveraie, mais après un virage aveugle, elle part tout droit à l'assaut de la pente!
C'est un peu chaud, et je m'arrête lorsque je me rends compte que
la pente s'intensifie et que la piste se dégrade franchement...
suis pas venu faire de l'enduro!
Les deux pieds sortis, le seul frein avant n'empêche pas la moto
de redescendre en marche arrière, les pierres roulant sous ma
roue avant jusqu'à ce qu'une grosse pierre cale enfin la roue
arrière...
Ouf! c'était chaud!
Le demi-tour avec mon Africamion dans le dévers bien prononcé l'a été aussi...
C'est bon, je crois que j'ai eu ma dose de pistes, il faut que je souffle un peu en rejoignant du bitume!
Je me fais une pause peu après à Lluxent... double expresso, et exit la polaire; il faut que le T-shirt sèche un peu...
Je me retrouve ensuite sur une voie rapide...
En me demandant si ceux qui raffolent de ça l'aiment, je quitte
cette double-voie pour passer à Rafol de Salem: les monts
à proximité me donnent vraiment envie d'y rouler... suis
pas certain au final d'avoir eu ma
dose de pistes!
Un camion s'enfonce en plein virage en marche arrière à
l'entrée d'une belle piste pour y faire demi-tour... peu patient, je le
contourne et trouve une autre piste une centaine de mètres plus
loin; je m'y engage...
Oups! C'est quoi ce délire?
Non seulement sur le bas elle est quelque peu ravinée, mais en
plus elle devient rapidement sablonneuse, et plus je monte, plus il y a
de sable et plus il est fin!
Heureusement, il y a eu de l'élagage dans la continuité
à plat d'une épingle... j'ai pu sortir de la piste, faire une large boucle sans m'arrêter pour
rebrousser chemin... merci encore le traction control! Le tapis des débris végétaux m'a aussi bien aidé... les
pieds au sol pour diminuer le poids et aider à progresser, je
suis parvenu à ne pas me planter... il y avait un risque et je
me voyais
déjà bien ensablé!
Bref... après cet intermède fort pas
cocasse, je retourne vers la piste laissée libre par le camion,
et là... un pur régal!
Une longue montée tapissée de pierrasses à travers les bois et
à flanc de colline, avec des vues superbes sur la vallée
et les autres monts au loin...
Manque de bol, après quelques kilomètres à peine,
je tombe sur une barrière fermée, une maison avec deux
véhicules stationnés... Oh non!!!
Je fais le tour au ralenti, me gare. Je suis
dégoûté, les pistes que je devine après la
barrière ont l'air magnifiques...
Je fais quelques photos, constate que la barrière n'est pas verrouillée: il suffirait que je la relève pour passer...
C'est très tentant!
J'ai certainement bien fait de rester sage, de respecter la
signalisation, car je constate sur google earth à mon
retour que la maison se trouve être la "casa del guardes"...
autant il y avait donc des gardes en patrouille dans le massif.
Je me suis posé avec le GPS et Mohamem pour décider de la suite de notre parcours...
Et j'ai donc fait demi-tour... Pfff...
Je reprends la voie rapide sur laquelle j'étais afin d'avancer un peu...
Je passe Yecla, Jumilla... je roule au nord-ouest de Murcia pour rejoindre un nouveau tracé du TET.
Route faisant (pour ce qui est des chemins, on verra ça plus tard!), partout où je pose les yeux, j'ai envie d'y aller!
Je rejoins donc une piste, me demandant vu sa nature si je vais encore avoir à rebrousser chemin, et puis...
Pouf!
La piste est belle et le changement de décor, radical!
De vastes panoramas arides, des pistes, parfois autoroutières,
sur lesquelles je roule allègrement à 70km/h tout en
pouvant contempler les alentours... De plus, du soleil et un ciel bleu
limpide qui donnent des couleurs extraordinaires!
Il fait 19° d'après mon tél lorsque j'arrive dans le coin, vers 12h45.
Qu'il est bon de se retrouver en T-shirt!
Une heure d'un pied total...
C'est exactement tout cet ensemble de choses que j'espérais pouvoir trouver en partant.
Il m'a fallu 5 jours pour l'atteindre!
Je savoure, je me délecte!
Sur cette dernière photo, une voie ferrée sur laquelle je
m'attends à voir une locomotive à vapeur passer en
faisant tchou-tchouuu... je suis en plein western!
Je poursuis, et la piste redevient quelque peu sablonneuse...
J'avais hésité à descendre pour arriver là,
en passant près d'une maison en ruine, au milieu
d'ornières et caillasses plus ou moins grosses... c'est bien
parce que ces ornières m'ont empêché de faire
demi-tour plus haut que j'ai poursuivi...
Encore une fois, je ne me suis pas senti de
continuer vers un éventuel plan galère... dans le coin,
le sol est par moment très meuble, et mon pneu avant n'aime pas
plus le sable que la boue; il n'y accroche absolument pas!
Je suis toujours aussi lourd et seul, et Mohamem, cette grosse
feignasse, ne m'aidera certainement en rien pour me sortir d'un mauvais
plan. Je pense avoir bien fait, car remonter ce que je venais de
descendre pour arriver là ne s'est pas fait les doigts dans le
nez... (je ne risque pas de les y mettre: ils sont très sales!)
Mais bon, ça c'est fait sans problème
non plus; je commence à bien reprendre confiance dans mes
capacités et celles de ma machine, et c'est par une piste
parallèle que je retrouve le petit bout de bitume qui me
mène à Calasparra.
De ce que j'en vois, c'est tout mignon!
J'aimerais y trouver une boulangerie, y acheter un bocadillos ou du pain, j'ai faim...
Un motard de la police municipale fait la circulation, me fait signe de
passer, mais je m'arrête près de lui et lui demande: "Donde esta la paneteria, por favor"?
Vu qu'il ne comprend rien ce que je lui demande, je constate que même mon espagnol de survie est bidon!
Mais j'en souris et insiste...
- "Por el pan... para comer..." (Pour le pain... pour manger...)
- "Ah! la paneria!"
- "si, si... la paneria..."
Malgré mon improvisation baragouineuse, car je parle espagnol
comme une vache française, je n'étais pas loin d'avoir
bon!
Et pas loin de la boulangerie non plus, car le motard m'indique qu'il y
en a une juste après, dans une rue perpendiculaire.
Je me prends un gros pain et un cappuccino
glacé juste avant que le boulanger ne ferme boutique... en
repartant, je cherche à travers la ville une fontaine. Je trouve
un robinet, qui coule lentement mais me permet de faire le plein
d'eau... je me trimbale une bouteille d'un litre et demi qui me sert de
réserve dans une sacoche cavalière, une gourde d'un litre
que je laisse désormais maintenue sur mon sac de selle, plus les
trois litres maxi de mon Camelbak.
Je repars de la ville, non sans avoir essayé,
sans le savoir, de grimper jusqu'au château qui la surplombe,
mais l'accès est fermé. Heureusement que dans la
montée la piste était bétonnée, parce que
y faire demi-tour a été un peu chaud...
Je retrouve le tracé du TET à l'entrée de la ville.
C'est toujours très sablonneux par endroit, je me méfie
et observe, toujours dans la crainte de ne pas anticiper assez
tôt un demi-tour salvateur...
Tout va bien, pas de problème au final,
même si ça me demande beaucoup de vigilance... mais
qu'est-ce que j'ai chaud! Les tenues d'hiver, c'est très
confortable autour de 0°, mais à plus de 20°, c'est un
véritable sauna!
J'ai le pantalon collé aux cuisses, tout comme le hanneton reste
collé aux ptères... ça a déjà failli
me jouer des tours en m'empêchant de tendre la jambe pour poser
pied à terre...
Au détour d'un virage, je trouve le coin que je cherchais pour
me faire une pause: de l'ombre pour y mettre la moto, mais aussi des
arbustes au soleil pour y faire sécher mes affaires et Mohamem...
Mon T-shirt est intégralement trempé de sueur, tout comme la doublure thermique de ma veste.
Torse nu, j'ingurgite une banane, une barre énergétique
et une compote, j'estime ne pas avoir le temps de faire un repas plus
complet, je me roule une clope (pas bien!) pour accompagner mon cappuccino, et observe sur mon GPS la suite du parcours...
J'entends un bruit de moteur(s) au loin, qui semble(nt) se rapprocher...
J'écoute l'évolution du son en espérant ne pas
avoir à bouger ma bécane pour libérer un peu le
passage.
Débarquent deux allemands à moto, très sympas!
On partage la même euphorie d'être là!
Je discute en anglais avec eux pendant quelques minutes... ils ont
laissé leur fourgon à Girona et parcourent le TET, ils
sont sur le retour. Je leur demande comment sont les pistes ensuite.
Ils me disent qu'il n'y a pas de difficulté, que je vais
traverser une ville et qu'ensuite il y a une piste qui fait tout le
tour d'un massif, et que c'est extraordinairement beautyfull... super!
Le premier, sur sa BMW, se souvient que tout de
même, il y a un passage qu'ils ont fait en descente qui
était très très chaud, que ça risque
d'être impossible pour moi en montée, mais qu'il y a
certainement moyen de court-circuiter ce passage. Et puis il me parle
d'un autre endroit en allant vers Gorafe où il est resté
coincé dans un gué devenu champ de boue... avec l'aide de
son collègue il s'en est sorti, je vais certainement trouver les
traces de sa mésaventure...
Je suis très attentif à ses propos, il faut que je m'en souvienne!
15h05...
Je demande à ce qu'ils me sourient pendant que je les prends en photo, et ils repartent, morts de rire et moi aussi...
Auf wiedersehen!
Quel plaisir de rencontrer du monde!
Je me rhabille, je suis sec, pas grave si mes affaires ne le sont pas
encore et que mes bonbons collent au papier...
Cinq kilomètres plus loin, je retrouve le bitume... j'ai 7 km
à faire pour atteindre Moratalla, mais je ne le sais pas encore,
et puis je ne sais pas non plus que c'est de cette ville dont me
parlaient les allemands...
C'est vrai que le massif que je vois derrière la ville donne envie d'y rouler!
L'entrée de la piste est peu après la sortie de Moratalla...
Bordée de parcelles d'oliviers et de vergers au départ,
elle s'enfonce rapidement dans les bois... ça monte gentiment
sur un tapis de pierrasse, c'est vraiment, mais alors vraiment
très agréable!
Jusqu'à présent, en montant, je n'ai pas vu d'endroit
où bivouaquer... alors que j'arrive sur une partie globalement
horizontale, je me dis que ce serait bien que je me trouve un coin
tôt, et au soleil si possible...
Et juste après l'avoir pensé... Twingo!
D'accord... c'est ici que nous allons nous installer, je suis bien d'accord avec Mohamem!
Il y a au sol quelques bouses éparses, ni fraîches, ni
complètement sèches, mais ça ne me pose pas de
problème... il faudrait simplement que les vaches ne reviennent
pas ici ruminer pour la nuit!
Il est 16h13 lorsque je prends cette photo... j'ai déjà
balisé des bouses à l'aide de pierres trouvées aux
alentours, mis bottes, chaussettes, casque et tour de cou à
sécher face au soleil, sorti la tente de son sac.
Pieds nus, en boxer et T-shirt, je monte la tente, balise d'autres
bouses au fur et à mesure que j'en approche, retourne mon
pantalon, sort la doublure de ma veste, dispose le tout ainsi que tout
ce qui constitue mon couchage au soleil.
Il est 16h35, je peux me faire une toilette, me poser un peu et donner des news sur Facebook...
17h45... le soleil se prépare à disparaître
derrière la cime des arbres et la crête.
Je commence à tout ranger, fais quelques images pour immortaliser le lieu et l'instant.
Les oiseaux chantent gaiement, un pivert tape contre un tronc...
C'est beau, c'est calme... j'adore!
Quel pied!
18h52... il fait nuit, mais l'horizon reste coloré, c'est magnifique...
Je me suis évidemment bien couvert depuis que le soleil a
disparu, je suis un peu en altitude et on est tout de même un peu
en janvier!
De l'autre côté, la Lune qui s'était levée
à travers la ramure de l'arbre m'éclaire désormais
directement...
C'est magique... des bivouacs comme celui-là, après une journée comme celle-là, j'en redemande!
Au revoir, soleil...
Et à demain j'espère!
Demain est un autre jour!
Itinéraire Jour 6: 269 km, 9h29